Elwave : des robots sous-marins comme des poissons (tropicaux) dans l’eau - Carnot M.I.N.E.S
Entre les deux projets, nous avons reçu le soutien du Carnot M.I.N.E.S, qui a été décisif à ce moment-là. Nous avons ainsi pu nous doter d’un laboratoire de sens électrique et réaliser des expériences au sein d’un grand aquarium rempli d’eau de mer.
La start-up Elwave propose des solutions innovantes de détection et de navigation sous-marines, fruit d’une étroite collaboration avec des chercheurs d’IMT Atlantique. Une technologie directement inspirée du « sens électrique » utilisé par… des poissons tropicaux.
Depuis la fin de l’année 2023, la start-up Elwave commercialise un capteur permettant à tout véhicule sous-marin de naviguer sous l’eau, même dans des environnements au sein desquels il est généralement plus difficile de se repérer. Ce dispositif, qui s’adapte aussi bien aux robots téléopérés (ROV, Remotely Operated Vehicle) qu’aux véhicules autonomes (AUV, Autonomous Underwater Vehicle), est le seul au monde reposant sur la technologie du « sens électrique », inspirée du mécanismeemployé par certains poissons tropicaux pour se déplacer. Comment est-on passé de l’observation d’un comportement animal à une innovation de rupture ? Pour le comprendre, il faut se replonger environ vingt ans en arrière.
Le sens électrique des poissons tropicaux
« À l’époque, nous cherchions un moyen de lever des verrous quant à la robotique sous-marine », se souvient Frédéric Boyer, enseignant-chercheur en robotique à IMT Atlantique. « Il s’agissait notamment de permettre à des robots de naviguer dans des environnements encombrés, avec peu de visibilité, qui nuisent à l’efficacité des capteurs traditionnels. » En effet, le sonar – souvent utilisé par les AUV – s’avère beaucoup moins pertinent en présence de multiples obstacles ou au sein d’une eau troublée par des particules en suspension, le signal acoustique étant perturbé par les effets de réflexion ou de diffraction. De même, en cas de faible visibilité, les caméras embarquées ne peuvent évidemment être d’aucun secours.
Alors, pour relever ce défi, les chercheurs se sont intéressés à des êtres vivants qui savent se déplacer dans ces environnements encombrés qui constituent leur habitat naturel. « En Afrique et en Amérique du Sud, des poissons tropicaux sont capables d’émettre un champ électrique et de générer ainsi un courant se propageant dans l’eau », explique Frédéric Boyer. « Leur peau étant dotée d’électrorécepteurs, ils ressentent les perturbations du champ induites par les éléments autour d’eux, ce qui leur donne des informations sur leur environnement. » Cette particularité étonnante – le sens électrique – a conduit les scientifiques à mener des travaux de recherche de robotique bio-inspirée, dans le but d’adapter ce fonctionnement à la navigation sous-marine de robots.
Reproduire le sens électrique, en eau douce comme en eau de mer
Ces travaux se sont notamment concrétisés à travers deux projets européens. Le premier, lancé en 2009 et baptisé Angels, visait à développer un robot anguilliforme équipé du sens électrique. Le second, subCULTron, a été amorcé en 2015 et avait pour objectif de surveiller l’environnement sous-marin de la lagune de Venise, à l’aide d’une flotte de robots aquatiques autonomes. Avec une nuance de taille : il s’agissait cette fois d’utiliser la technologie dans un milieu composé d’eau de mer, tandis qu’elle n’avait jusqu’alors été testée qu’en eau douce. Un véritable défi, même pour la nature, puisqu’aucune espèce de poisson ne développe de sens électrique actif en eau de mer, plus conductrice.
« Entre les deux projets, nous avons reçu le soutien du Carnot M.I.N.E.S, qui a été décisif à ce moment-là », souligne Frédéric Boyer. « Nous avons ainsi pu nous doter d’un laboratoire de sens électrique et réaliser des expériences au sein d’un grand aquarium rempli d’eau de mer. » Une période durant laquelle les chercheurs ont également été récompensés par le prix La Recherche 2014, pour leurs travaux sur la navigation sous-marine par le sens électrique.
Une start-up pour valoriser les travaux du LS2N
En parallèle, dès 2016, Pierre Tuffigo souhaitait lancer une start-up et cherchait une innovation de rupture à valoriser. Ayant eu écho des travaux de Frédéric Boyer et de Vincent Lebastard, il s’est rapproché des chercheurs et les discussions l’ont rapidement orienté vers la technologie du sens électrique. Après une étude des besoins auprès de sociétés fabriquant et opérant des véhicules sous-marins, il fondait officiellement l’entreprise Elwave en février 2018, devenant son président. Depuis cette date, la start-up est restée étroitement liée à l’équipe de recherche, puisque les deux parties travaillent toujours ensemble, dans le cadre du laboratoire commun Esense Lab, créé en 2019 par Elwave et IMT Atlantique, où l’entreprise était incubée.
« Cette collaboration nous apporte de nouvelles problématiques concrètes sur le sens électrique, qui reste une technologie assez jeune », note Vincent Lebastard. « Cela nous permet d’aller au-delà de la recherche fondamentale, en étudiant des milieux réels et industriels plus difficiles à modéliser. »
Aujourd’hui, la start-up propose donc un capteur tirant parti des travaux de recherche du LS2N, qui s’adresse principalement aux fabricants et opérateurs de véhicules sous-marins. « Le premier avantage de notre technologie est sa complémentarité avec les approches classiques des caméras et des sonars, en fournissant de l’information sur des environnements dans lesquels ces capteurs sont inopérants », mentionne Pierre Tuffigo. « De plus, notre système est peu encombrant et consomme peu d’énergie. Par conséquent, il est possible de l’intégrer sur un véhicule sous-marin de tout type et de toute taille. »
Des véhicules sous-marins à une utilisation dans l’air ?
Ces atouts ouvrent la porte à des applications dans de multiples domaines, comme l’aide à la navigation des drones sous-marins au sein d’environnements complexes. De même, dans le domaine de l’énergie, des robots téléopérés ou autonomes peuvent utiliser le sens électrique pour détecter et caractériser des câbles d’éoliennes, des gazoducs ou des oléoducs en mer. La technologie d’Elwave peut également représenter un intérêt scientifique en océanographie, comme le prouve le projet France 2030 Piccard, conduit par la start-up et le LS2N, qui vise à approfondir la connaissance des grands fonds marins et de leur biodiversité.
Par ailleurs, le capteur d’Elwave est capable d’explorer des milieux plus compacts, tels que des argiles ou des boues industrielles, et de livrer ainsi des informations précieuses quant à leur composition. Cette faculté s’applique aussi aux sédiments, qui conduisent l’électricité et qui peuvent renfermer une grande variété d’objets enfouis. Une application susceptible d’intéresser le secteur de la défense, à l’instar de l’OTAN, qui a retenu Elwave parmi les 44 lauréats – le seul français – rejoignant son accélérateur d’innovation de défense pour l’Atlantique Nord (DIANA), sur plus de 1 300 candidatures reçues.
« Une première phase du projet consistait à détecter des mines et des munitions non explosées (UXO) datant de la Seconde Guerre mondiale et enfouies dans les fonds marins », décrit Pierre Tuffigo. « Après les bons résultats obtenus lors de cette phase, nous entamons la deuxième étape, qui vise à réaliser un suivi autonome de câbles ou de pipelines enfouis et à détecter d’éventuelles anomalies autour de ces zones, grâce à des robots sous-marins. »
Si le sens électrique s’inspire du comportement des poissons tropicaux, il n’est pas pour autant confiné à des applications sous-marines. En effet, Elwave et le LS2N envisagent de transposer les travaux déjà menés en milieu aquatique à une utilisation dans l’air. Une adaptation à un environnement sensiblement différent qui pourrait, par exemple, contribuer à rendre plus sûre la collaboration industrielle entre robots et êtres humains (cobotique), dans une démarche d’industrie 5.0.