[Parole d'expert] Combustion et mix énergétique au programme de la mobilité décarbonée
Comment passer de la maîtrise technologique à la maîtrise scientifique des systèmes de combustion et de propulsion pour répondre aux enjeux de la décarbonation des transports ? C’est tout l’enjeu des projets menés par les instituts Carnot ESP (énergies et systèmes de propulsion), Energies du futur et IFPEN Transports Energie, comme l’explique Nelson de Oliveira, directeur délégué de l’institut Carnot ESP, dans ce dossier de février 2022 réalisé en partenariat entre l’AiCarnot et AEF info.
L’ANALYSE DE NELSON DE OLIVEIRA, DIRECTEUR DÉLÉGUÉ DU CARNOT ESP
Alors que les sociétés modernes se sont organisées autour de la consommation d’énergie, tout ou presque nécessite une fabrication ou une transformation qui implique l’utilisation d’énergie. La résolution de la problématique actuelle du réchauffement climatique exige une pluralité de réponses, tant sur les aspects liés à la production de cette énergie qu’à ses usages.
L’énergie est nécessaire aux besoins fondamentaux de l’humanité : pour la production d’électricité (alimentation des turbines à gaz), pour la production ou le traitement de gaz (combustion industrielle), et pour la mobilité motorisée (transport routier, ferroviaire, maritime, aérien).
90 % DE L’ÉNERGIE PRODUITE RÉSULTE DE LA COMBUSTION
En France, la production primaire d’énergie représente environ 50 % de l’approvisionnement du pays. La consommation, elle, tend à décroître depuis quelques années. En revanche, à l’échelle mondiale, la consommation d’énergie augmente, portée principalement par la croissance de la demande asiatique, notamment celle de la Chine. Selon le SDES (service des données et études statistiques du ministère de la Transition écologique), cette consommation a doublé en 40 ans (hors crise sanitaire).
Aujourd’hui, plus de 90 % de l’énergie produite dans le monde résulte de la combustion, dont 80 % d’hydrocarbures fossiles (pétrole, gaz, charbon). Toute combustion produit du CO2 sauf celle de l’hydrogène. Quelle qu’en soit l’utilisation, le recours aux hydrocarbures a un impact sur l’environnement et sur la santé.
LE TRANSPORT MOTORISÉ : PRINCIPAL CONSOMMATEUR D’ÉNERGIE
Fait de la mondialisation, les échanges internationaux se multiplient. Le transport de marchandises croît et nécessite de nombreux trajets par camion, par bateau ou par avion. Les modes de vie, quant à eux, poussent à augmenter la fréquence des déplacements que ce soit pour les loisirs, partir en vacances, ou bien au quotidien pour le travail.
Par ailleurs, la dépendance à la voiture individuelle s’est renforcée dans les territoires peu ou mal desservis par l’offre de transports publics, bien qu’en renouvellement et malgré la multiplication de solutions multimodales (train, bus, tramway, mobilités douces). Enfin, la vente d’automobiles continue de croître chaque année depuis 5 ans hors crise sanitaire, et les véhicules parmi les plus lourds, de type SUV ou tout terrain, ont le vent en poupe. Le recours au transport aérien a quant à lui augmenté pour près de 9 % entre avril 2018 et avril 2019, situation d’avant crise sanitaire.
Ainsi, le secteur du transport représente, en 2019 en France, encore près d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre. 95 % sont dus au seul transport routier, dont 54 % imputables aux véhicules légers, 22 % aux poids lourds et 21 % aux véhicules utilitaires.
UNE COMBUSTION PLUS DURABLE POUR DÉCARBONER LA MOBILITÉ MOTORISÉE
Le facteur déterminant d’une mobilité motorisée plus soucieuse de limiter les impacts sur l’environnement n’est pas le concept de propulsion en lui-même, mais l’énergie employée.
L’UE s’est engagée à atteindre une empreinte carbone neutre d’ici à 2050, fixant pour 2030 une baisse de 55 % des émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit du programme "Fit for 55" présenté en juillet 2021. En France, la SNBC (stratégie nationale bas carbone) vise une diminution de 28 % des émissions de GES du secteur des transports en 2030 par rapport à 2015 et une décarbonation totale du secteur (hors aérien) en 2050, avec l’interdiction de la vente de voitures utilisant des énergies fossiles carbonées d'ici 2040.
BIOGAZ, BIOCARBURANTS ET CARBURANTS DE SYNTHÈSE
Si l’amélioration de la performance énergétique des véhicules s’est accélérée depuis 2010, c’est que le secteur du transport est l’un des plus innovants en matière de mesures de protection de l’environnement (contrôle et électronique embarquée, post-traitements, systèmes d’injection…). Afin de poursuivre cette réduction des émissions de CO2, toutes les technologies de motorisation à faibles émissions doivent être utilisées, en particulier celles immédiatement disponibles.
Parmi les technologies les plus prometteuses qui accompagnent cette transition vers les motorisations bas carbone, on retrouve le biogaz, les biocarburants et carburants de synthèse (ou e-fuels) ou l’hydrogène. Ces dernières seront boostées en France par de multiples actions qui s’inscrivent dans les plans France relance et France 2030.
QUID DU TOUT ÉLECTRIQUE ?
Nous assistons depuis quelques années à une véritable révolution du véhicule tout électrique. Les plans d’électrification des constructeurs d’automobiles se succèdent et l’offre véhicules s’étoffe. Néanmoins, des verrous technologiques existent et demandent à être levés :
l’accès à des matériaux durables notamment pour les métaux, de leur extraction à leur recyclage dont la filière reste à construire ;
l’augmentation de l’autonomie des packs de batteries et un temps de charge acceptable pour satisfaire aux usages ;
le coût des batteries encore trop élevé pour démocratiser cette solution. Il compte pour plus du tiers du coût total d’un véhicule à l’achat, alors même que le coût d’un pack de batteries a diminué de près de 80 % entre 2013 et 2020 ;
le développement de l’infrastructure de recharge doit s’accélérer considérablement ;
enfin, la viabilité du modèle nécessite une recharge provenant des renouvelables.
Ainsi, si le véhicule tout électrique semble aujourd’hui bien adapté aux trajets courts (batterie de petite capacité, charge rapide), pour les trajets plus importants et dans certaines régions du monde, les motorisations à combustion, elles, conserveront l’avantage pour encore bien des années.
LE RÔLE DES INSTITUTS CARNOT
"C’est bien le recours aux expérimentations à différentes échelles, couplé au développement de la simulation numérique et du calcul haute performance pour étudier la combustion des carburants durables et les nouvelles technologies de combustion et de propulsion, qui ouvre les nouvelles voies de progrès et d’innovation du domaine", estime Nelson de Oliveira.
Ainsi, les Instituts Carnot (notamment ESP, Energies du futur, IFPEN Transports Energie, Ingénierie@Lyon) "accompagnent cette nécessaire transition et aident les industriels de la mobilité motorisée à passer de la maîtrise technologique à la maîtrise scientifique des systèmes de combustion et de propulsion pour répondre aux enjeux de la décarbonation des transports".
EXEMPLES DE TRANSFERTS RÉALISÉS PAR LES INSTITUTS CARNOT
Institut Carnot IFPEN Transports Energie : atteindre de très hauts rendements grâce à des systèmes de combustion en rupture
Les récentes études prospectives "confirment que le moteur à combustion interne restera un élément primordial dans le développement actuel et futur des chaînes de traction, y compris dans le contexte d’électrification croissante des véhicules". L’approche R&I du Carnot IFPEN TE vise à "augmenter significativement le rendement thermodynamique des motorisations thermiques par l’optimisation des technologies existantes ou par l’introduction de solutions en rupture, tout en veillant à tendre vers la nullité de l’impact sur la qualité de l’air".
Ainsi, les travaux de l’Institut Carnot IFPEN TE ont "contribué à la définition de motorisations essence utilisant un cycle dit de Miller, permettant des gains en rendement très significatifs (rendement pic de 45 %), tout en conservant un fonctionnement à la stœchiométrie qui permet l’utilisation d’un système de post-traitement simple et efficace". Les travaux en cours et à venir devraient permettre d’atteindre des rendements de 47 %.
Pour poursuivre les avancées vers les très hauts rendements, cinq grands axes de recherches ont été identifiés :
- Le premier axe concerne les systèmes de combustion à préchambre active ;
- Le deuxième axe concerne l’optimisation des systèmes de combustion de type Saci ;
- Le troisième axe porte sur l’étude plus large de la minimisation des pertes thermiques et sources de HC (hydrocarbures) imbrûlés sur les systèmes de combustion essence ;
- Le quatrième axe concerne l’identification de carburants adaptés à ces types de combustion ;
- Le cinquième axe porte sur l’étude de systèmes de post-traitement efficaces dans des conditions de faibles températures et/ou d’excès d’oxygène, issues de combustions fortement diluées par l’air.
Instituts Carnot ESP et Energies du futur : Stream (Simulation of Turbulence and RoughnEss in Additive Manufactured parts)
"En aéronautique, les échangeurs de chaleur jouent un rôle fondamental, notamment dans la maîtrise de la température du carburant ou du lubrifiant et leur dimensionnement est directement impacté par l’accroissement du rendement des moteurs", fait valoir l’Institut Carnot.
"Deux aspects principaux de l’efficacité du transfert de chaleur sont largement étudiés : la relation débit/pertes de charge et les performances d’échange de chaleur. L’optimisation topologique vise à déterminer la meilleure répartition des composants dans un volume sous contraintes", est-il précisé.
Le projet européen H2020 Stream (Cleansky2), conduit par le laboratoire Coria (UMR CNRS, université de Rouen Normandie et Insa Rouen Normandie), l’Institut Carnot ESP, le Legi (laboratoire des écoulements géophysiques industriels - UMR CNRS, UGA, Grenoble INP) et l’Institut Carnot Énergies du futur, est dédié à l’amélioration des performances de la nouvelle génération d’échangeurs de chaleur, en tirant parti de la fabrication additive, de l’optimisation topologique et des simulations haute-fidélité.
Instituts Carnot ESP : projet Raphyd (recherches pour les applications énergétiques de l’hydrogène)
Ce projet rassemble trois membres de l’Institut Carnot ESP (le Coria, le Certam et le LCS) ainsi que le laboratoire LSPC (EA Insa Rouen Normandie et université Rouen Normandie) sur le thème de la valorisation énergétique de l’hydrogène, par une approche intégrée s’intéressant à tous les volets de cette valorisation.
Des travaux sont menés sur la production d’hydrogène vert à partir de ressources renouvelables, d’une part par des procédés de transformation de biomasse (bois, lin) en gaz combustible à forte teneur en hydrogène, et d’autre part par photocatalyse utilisant l’énergie solaire pour la synthèse directe d’hydrogène à partir d’eau. Les procédés de photocatalyse sont aussi évalués pour la transformation d’hydrogène gazeux en des composés liquides pour un transport et un stockage mobile plus performants.
L’exploitation de l’hydrogène comme combustible est étudiée expérimentalement dans des conditions représentatives, d’une part de flammes de foyers industriels de combustion, et d’autre part de moteurs automobiles de dernière génération. L’utilisation de techniques de mesures laser avancées apportera une meilleure connaissance de nouveaux modes de combustion de l’hydrogène associant forte efficacité énergétique et faible impact environnemental, dans le but de favoriser leurs développements et leurs déploiements.
Le projet Raphyd vise à "renforcer la structuration des activités de recherche menées en Normandie dans le domaine de la valorisation énergétique de l’hydrogène, en cohérence avec les développements socio-économiques et environnementaux de la filière hydrogène et le plan Normandie Hydrogène".