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[Portrait chercheurs] Vincent Boucher, de la lumière plein les yeux

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Chercheur spécialisé dans la propagation de la lumière appliquée à la visibilité routière depuis une vingtaine d’années, Vincent Boucher a fait toute sa carrière au Carnot Clim'adapt du Cerema, à Angers. 

Il est membre de la nouvelle équipe de recherche Éclairage et Lumière (EL), créée le 1er janvier 2023 et qui travaille sur l'éclairage des routes et des espaces publics ainsi que sur sa perception, sa mesure et son optimisation.

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Formation suivie ?

Après avoir suivi une formation en physique générale et une spécialisation en optique des lasers, j'ai fait une thèse sur la propagation des impulsions laser à Angers, puis une année en tant qu’assistant enseignant-chercheur dans un laboratoire d'optique à Nantes. J’ai ensuite été embauché au Laboratoire Régional des Ponts et Chaussées d'Angers pour intégrer l'équipe Propagation des ondes.

Thèse ?

"Solitons spatiaux : contribution à l'étude de propagation non linéaire"
Il s'agissait de faire propager des impulsions laser haute énergie sans perte, c’est-à-dire sans qu'elles ne se dispersent ni ne diffractent.

Les applications sont de pouvoir transporter de l'information sans perte à la vitesse de la lumière, un peu à la manière des fibres optiques mais sans fibre ! Mais ceci n'est possible que dans certains milieux aux propriétés un peu spéciales, qui vont contrecarrer la nature en s'opposant à la dispersion – dans le temps – et à la diffraction – dans l'espace.
Les premières tentatives pour créer des solitons spatio-temporels, dits balles de lumière, ont été publiées en 2000. Mais il subsistait néanmoins un sérieux problème de stabilité de la propagation. Ma contribution a concerné l'étude de ce problème de stabilité.
La partie théorique consistait à résoudre des équations de Schrödinger1 non linéaires couplées et la solution a correspondu à nos observations expérimentales en laboratoire.

Quand considérez-vous que vous êtes devenu chercheur ?

Il n'y a pas d'instant T, je crois que c'est une façon de penser, et pas besoin d'être "docteur" pour ça. Statutairement, je suis devenu chercheur le jour où j’ai obtenu le concours de chargé de recherche et où j’ai rejoint le Cerema du Carnot Clim'adapt, à Angers, en 2002. Il m'a fallu mettre en oeuvre une recherche plus appliquée qu'académique.

Quel a été votre parcours en tant que chercheur ?

Je suis aujourd’hui chercheur confirmé, après avoir étudié pendant 20 ans les interactions lumière-matière appliquées aux problématiques routières : propagation des ondes infrarouges dans le brouillard et la pluie, développement de systèmes d'imagerie non conventionnelle – laser, polarimétrique, multi-caméras à objectif unique –, développement d'un lidar pour mesurer la pollution du trafic, simulations numériques diverses et variées – en milieu diffusant, en tunnel enfumé, sous éclairage routier –, reproduction de la perception visuelle – niveaux de visibilité, saillance, adaptation à la luminosité –, photométrie des chaussées – mesures gonioreflectométriques, mesures par caméra – et systèmes d'éclairage.
Je suis arrivé dans une toute petite équipe qui a grossi et s’est transformée au fur et à mesure des années. Nous sommes aujourd’hui six permanents, au sein de l’équipe de recherche Éclairage et Lumière (EL) du Cerema (Carnot Clim'adapt), créée le 1er janvier 2023 et dirigée par Florian Greffier. Nous sommes engagés, avec l'équipe STI du Cerema du Carnot Clim'adapt et l'équipe PICS-L de l'Université Gustave Eiffel, dans un projet collaboratif intitulé TIM – Transports, Infrastructures, Mobilités – qui vise à terme à former une seule équipe.

La sécurité routière a longtemps été la première application de nos recherches : le brouillard, la visibilité de panneaux ou de marquages, en collaboration avec l’équipe de recherche STI basée à Clermont-Ferrand qui développe la Plateforme Pavin Brouillard et Pluie. Aujourd'hui, il faut savoir faire aussi bien en termes de sécurité avec moins d'énergie. Il y a actuellement un gros enjeu sur les économies d'énergie, et l'éclairage fait partie des postes très énergivores, même si l'avènement des leds améliore les rendements. Il reste beaucoup à faire sur le "Mieux éclairer" – quand, comment et où on en a besoin – et cela passe par la connaissance fine des propriétés optiques des surfaces réfléchissantes. C'est justement le cœur du projet de recherche en cours REFLECTIVITY qui porte sur la réflexion des matériaux de chaussées et leur environnement, afin de mieux concevoir les futurs systèmes d'éclairage urbains. Ce projet associe les équipes de recherche EL, ENDSUM et STI du Cerema (Carnot Clim'adapt), l'Université de Poitiers, le laboratoire PICS-L de l'Université Gustave Eiffel, l'entreprise Spie batignolles malet et deux collectivités – Angers Loire Métropole et Limoges Métropole.

Un autre enjeu actuel concerne la pollution lumineuse : cela reste dans le thème "Mieux éclairer" mais du point de vue de la faune et de la flore. Le domaine est balbutiant par manque de données et par manque de concertation entre les communautés concernées – biologistes, astronomes, gestionnaires de parcs d'éclairage. Il faut définir des critères communs et développer les outils de mesures adéquats pour être capables de quantifier les nuisances lumineuses et pouvoir les traiter. Là aussi, des projets de recherche émergent, comme le projet LUNNE pour évaluer la pollution lumineuse d'un point de vue physique et biologique, afin de cartographier les nuisances lumineuses à l'échelle d'un territoire.

Quels projets de recherche vous ont particulièrement marqué ?

Un thème qui a marqué mes premières années de chercheur était de "Voir à travers le brouillard". Ces travaux étaient à la fois théoriques, mais aussi suffisamment appliqués pour que ça parle à tout le monde. En effet, chacun a déjà expérimenté la difficulté de conduire dans le brouillard. Le résultat a été un prototype imageur, basé sur la détection des photons qui n’ont pas rencontré de gouttelettes de brouillard – et il n’y en a pas beaucoup ! Le prix d’un tel système – 20 k€ – est encore rédhibitoire pour équiper nos véhicules mais ça marche !

Un autre thème qui m’occupe depuis des années est la photométrie routière. C’est l’activité historique de l’équipe Eclairage et Lumière qui la fait évoluer en utilisant les avancées techniques réalisées sur les capteurs d’image. Ces travaux consistent à étalonner des caméras pour mesurer des grandeurs liées à la vision humaine. Les images sont ensuite à la base de traitements modélisant le fonctionnement du système visuel humain : visibilité des objets, éblouissements, adaptation visuelle. Pour résumer, l’équipe transforme des caméras en œil électronique, c’est pourquoi notre outil de référence s’appelle "Cyclope". Il a d’ailleurs remporté un prix au concours "7e appel à idées innovantes" organisé par Angers Technopole ainsi qu'au "10e concours national de technologies innovantes du ministère en charge de la recherche".

Dans le cadre de vos projets de recherche, avez-vous collaboré avec des entreprises ?

L'équipe propose des prestations d’expertise et de recherche pour des entreprises. Nous sommes amenés à développer des méthodologies pour évaluer de nouvelles technologies comme les marquages lumineux à led Flowell, ou la peinture phosphorescente LuminoKrom pour les marquages. Nous collaborons également avec les sociétés d'éclairage pour les diagnostics en tunnel – Duplex de l’A86 de Vinci Autoroutes –, avec la SNCF pour la visibilité de sa signalisation et avec le Tunnel du Mont-Blanc pour la visibilité des issues de secours.
En tant qu'équipe de recherche, il est également intéressant de monter des thèses CIFRE alliant un partenaire académique et une entreprise. 

Une ou plusieurs fiertés professionnelles ?

À la faveur des confinements, nous avons développé des simulations numériques d’éclairage qui ont conduit au dépôt d’un brevet d’un système d’éclairage qui s’adapte aux conditions météorologiques. Ce système est actuellement déployé dans un démonstrateur à Limoges : Lumi'nov.

Aujourd’hui, on publie suffisamment pour être dans les canons de la recherche, on fait partie des experts mondiaux de l’éclairage routier, on fait bien notre job. Pour reprendre l’expression d’un proche collaborateur : on travaille sérieusement sans se prendre au sérieux.

Enfin, ce qui me rend fier, c’est qu’il y ait des étudiants qui soient passés chez nous et qui reviennent nous voir dix ans après en disant : "Ça a été ma meilleure expérience !"

Quelles sont les qualités requises pour réussir en tant que chercheur ?

  • Il faut être curieux, se poser des questions… pas toujours pertinentes mais c'est le métier qui rentre !
  • Ne pas chercher des réponses toutes faites sur le web. Internet, et ChatGPT notamment, sont des outils d’apprentissage incroyables mais ne peuvent remplacer la réflexion et le questionnement nécessaires à la recherche. La réponse se trouve souvent dans son expérience, son vécu ou son imagination.
  • Savoir s’entourer, trouver les compétences que l'on n'a pas pour avancer sur un projet.

Si vous deviez vous décrire en trois adjectifs ?

  • Expérimentateur touche-à-tout : optique, caméras, mini-ordinateurs, robotique, électronique, simulation numérique.
  • Sceptique, je doute toujours des modèles qu'on invente pour décrire la réalité.
  • Géo Trouvetou !

Le Cerema est labellisé institut Carnot avec Clim’adapt : qu’est-ce que cela représente pour vous en tant que chercheur au Cerema ?

Le Carnot Clim'adapt nous a permis d’adhérer à certaines associations comme le Cluster Lumière qui rassemble les différents métiers de l’éclairage et qui nous permet de monter des partenariats avec les entreprises. Le Carnot Clim’adapt a aussi participé au ressourcement scientifique de l’équipe en nous équipant d’un imageur photométrique.

Le mot de la fin ?

Que la lumière soit et l'obscurantisme ploie.